Une soirée du plein air couplait deux films fonctionnant en miroir. Un court, Le Griot du métal d’Ata Messan Koffi, un long, La Mort du dieu serpent de Damien Froidevaux. Les deux prennent place au Sénégal, les deux aussi marquent un pas, ou un point, dans l’interminable décolonisation de la pensée que réclamait Frantz Fanon il y a déjà un demi-siècle. (…)

Damien Froidevaux faisait quant à lui dire dans la langue locale la gêne du Français débarqué en terre à la fois étrangère et familière. Son film s’achève par le récit d’un conte africain métaphorisant la relation que, cinq ans durant, il a entretenu avec Koumba, Sénégalaise ayant grandi en France mais qu’une négligence administrative a forcé à un pseudo-rapatriement dans le village d’où venait sa famille et qu’elle-même avait si peu connu. Le film narre ces cinq ans d’exil, le calvaire d’une femme particulièrement dégourdie, mère précoce survivant tant bien que mal dans un environnement qui la prend pour une blanche quand l’Etat français l’avait taxée d’Africaine. Les vertus de La Mort du dieu serpent sont nombreuses – brillant sens visuel, position de suivi joliment tenue, intelligence narrative, pour ne citer que les principales. On en retiendra surtout deux : un certain contractualisme à la base même du film, échangeant une présence (celle de Koumba, ô combien énergique) contre une assistance (de Froidevaux, cherchant vainement à inverser la procédure d’ostracisation), et rappelant l’économie de troc à la base de l’éthique documentaire ; une permanente mise en défaut de la position du cinéaste, toujours à la remorque de son personnage qui n’est pas loin de le considérer comme un boulet, toujours encombré, encombrant, conscient de l’hostilité larvaire des alentours et peu enclin à s’arroger une position de toute-puissance visuelle ou intellectuelle. Froidevaux a pris le parti d’intégrer à son film tous les moments témoignant de son embarras, de l’inévidence aussi de son projet, et c’est là que réside la principale beauté du film, dans cette crise de la position du filmeur qui est identiquement, ou analogiquement, crise de la conscience occidentale et coloniale, cessant pour l’occasion de s’arroger le droit à la compréhension et à l’ingérence qui s’en déduit.

Gabriel Bortzmeyer
Débordements I 22 septembre 2015


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