« Avec Dédé », un autre son venu de Bretagne

Christian Rouaud ne fait finalement jamais que ça : « des portraits de personnages que j’aime. » Ce fut les ouvriers de Lip autour de Charles Piaget pour les Lip, l’imagination au pouvoir, Marizette Tarlier, Léon Maillet, les Burguière et bien d’autres pour Tous au Larzac et aujourd’hui André Le Meut pour Avec Dédé (sortie en salles ce mercredi 30 octobre).
On dira bien sûr que Avec Dédé  – portrait d’un sonneur de bombarde – est, comme chaque documentaire de Christian Rouaud, un film réjouissant: ce musicien autodidacte empétré dans son grand corps a une parenté certaine avec le M. Hulot de Jacques Tati. Une façon de marcher à grandes enjambées, de changer de route en pivotant sur un pied, de ne jamais vraiment finir ses phrases, de les ponctuer de « hop là ! »…  Dédé est naturellement drôle, prévenant, curieux, enthousiaste, modeste et… excellent musicien. Bref, Dédé fait du bien.
Mais Avec Dédé est aussi, comme chaque documentaire de Christian Rouaud, un film politique. Ici, pas d’image d’archives ou de films retraçant les luttes qui ont un jour changé le cours de l’histoire. Mais « le travail de Dédé est éminemment citoyen. Il recueille la tradition orale du Morbihan pour la remettre à disposition de ses contemporains, non comme une chose morte qu’il faudrait vénérer pour cette raison, mais au contraire comme source d’histoires nouvelles à écrire, de chansons à chanter, de musiques à jouer, ici et maintenant, nous explique Christian Rouaud. Dédé est un transmetteur, un pédagogue, un artiste: la démocratie a besoin de gens comme lui. »
André Le Meut est un humaniste : la musique lui permet d’inventer de nouvelles raisons de se réunir pour prendre du plaisir ensemble, danser, chanter, échanger, créer des harmonies nouvelles, avec des jeunes, avec des vieux. Il le dit, au détour d’une phrase : c’est par ces rencontres, ces liens, ce collectif qu’on pourra éviter les tentations fascisantes. Par assemblage.
Au détour d’une autre phrase, Dédé dont les mots se chevauchent parfois, fait juste une incise sur sa petite enfance, mutique, inquiétante : « On dirait « autiste » aujourd’hui… ? » Depuis, André Le Meut, né en 1964 à Ploemel en Bretagne dans une famille de dix enfants dont le père était agriculteur, a obtenu des diplômes, a été recruté par les Archives départementales du Morbihan, a plusieurs fois remporté des prix d’interprétation, a enregistré avec le joueur de cornemuse Calors Nuñez qui le compare à John Coltrane… avec sans doute toujours cette drôle d’allure.
Avec Dédé est aussi réjouissant pour cela : la sublimation de l’altérité, l’acceptation de toutes les différences. Naturellement, humainement.

Sophie Dufau
Médiapart I 29 octobre 2013