Après Tous au Larzac  ,  Christian Rouaud signe le portrait réjouissant d’André Le Meut, musicien fantasque et débordant d’humanité, qui n’eût pas déplu à Jacques Tati.

Quel personnage ! Il s’appelle André Le Meut et, on l’aura compris dès la lecture du titre, tout le monde le surnomme « Dédé ». Les amateurs de musique traditionnelle bretonne ont forcément déjà entendu sonner la bombarde de ce musicien passionné?: en écoutant le bagad de Locoal-Mendon, qui a obtenu trois fois le titre de champion de Bretagne sous sa direction, en assistant à l’un des concerts « orgue et bombarde » qu’il affectionne tant ou lors des fest-noz dans lesquels il se donne jusqu’à l’épuisement.
Sa discographie, impressionnante, ne suffit pas à rendre compte de son infatigable engagement. André le Meut n’est pas seulement un instrumentiste aussi virtuose que généreux, il est aussi le serviteur dévoué d’un patrimoine populaire qui lui tient très à cœur.
Avec sa voiture pas bien récente, il sillonne à bon train les petits villages du Morbihan, s’égare, hésite, plie sa haute carcasse pour entrer dans les maisons à plafonds bas où des retraités l’accueillent chaleureusement. Attablé dans la salle à manger, il boit café sur café et recueille avec précision les airs et les paroles de chansons oubliées, qu’il transcrit sur partition avant de les publier. Il en a répertorié des centaines et connaît même les nuances qui, d’un bout à l’autre du département, ont parfois légèrement modifié le texte.
Artiste possédé par son art, « ethnographe » de sa propre culture embauché par le service des Archives départementales, Dédé collecte aussi les sermons prononcés dans les paroisses…
Après le succès au long cours de son précédent film,  Tous au Larzac  (César 2012 du documentaire), Christian Rouaud renoue avec une fibre plus intimiste de son œuvre. Son film invite à un voyage inattendu sur les terres de la musique traditionnelle bretonne, mais pas seulement.
Sûr de tenir un personnage extraordinaire, Christian Rouaud laisse Dédé être le film à lui seul – ou presque –, lui imprimer son rythme et s’attacher la sympathie des spectateurs. Jamais au repos, ponctuant volontiers ses phrases d’un « voilà, voilà, voilà » précipité, être fantasque encombré par son corps de géant, André Le Meut a quelque chose d’un Monsieur Hulot.
D’une authenticité évidente, d’une humilité extrêmement touchante, à la fois désarmé et résolu, ce fils d’agriculteur a tout appris par lui-même. Le peu que ce grand pudique consent à livrer de son enfance est stupéfiant. Né au sein d’une famille de dix enfants, refusant de parler, passant ses journées à se balancer sur son lit, il aurait pu être placé dans une institution spécialisée.
Ses premiers mots furent pour l’une de ses sœurs aînées, attristée par son état?: « Ne pleure pas, Isabelle?! » Et de noter dans un sourire?: « Depuis, je n’arrête pas de parler, et très vite, sans doute pour rattraper le temps perdu. » Personnage magnifique et plein d’énergie, portrait sensible et intelligent, œuvre réjouissante?: Avec Dédé mérite bien que l’on se porte à sa rencontre, au cinéma naturellement.

Arnaud Schwartz
La Croix I 30 octobre 2013