À PROPOS DE MARGUERITE ET LE DRAGON
par Yannick Haenel.

Voici un film dont la splendeur affirmative vous emporte. C’est celle des poètes, celle des musiciens et des enfants. On y voit une petite fille, elle est filmée par son père et sa mère, ils savent que chaque instant pour elle est le dernier instant, parce qu’elle a une maladie incurable. Pourtant, ce qu’on voit, c’est sa joie. La joie de Marguerite est sans limite, ses efforts et ses jeux sont sans limite, le soin que ses parents lui apporte est sans limite. Chaque détail d’une joie de vivre déborde les frontières du corps vivant : Marguerite, c’est la vivante absolue. Elle vit, plus que chacun d’entre nous, grâce à la pudeur du regard qui est porté sur elle. Rien n’est plus déchirant que cette pudeur qui s’ouvre à l’infini, parce qu’elle attend du regard des autres d’être confirmée dans l’amour qu’elle portait à ce dont on la prive. Cette pudeur est l’autre nom de l’art ; et si l’art ne console de rien, il ouvre pourtant à l’innocence. La grande innocence, c’est de penser avec amour. Ceux qui sont morts, même s’ils sont morts, sont vivants, parce que la vie qui est en eux nous est transmise pour toujours. En regardant Marguerite et le dragon de Raphaëlle Paupert-Borne et Jean Laube, on voit très bien que la petite fille qui va mourir est la plus en vie de tous les êtres du monde, et qu’elle est en vie pour tous les adultes qui l’entourent et la soignent. Comme Antonin Artaud écrit pour les animaux, c’est-à-dire à leur place, Marguerite rit pour les adultes, elle leur fait cadeau de sa légèreté. Marguerite donne à ceux qui l’ont aidé à vivre ces ailes qu’ils n’ont pas, et qu’elle possède naturellement dans son rire. Si ce film de deuil nous allège, c’est parce que nous, les adultes du monde des adultes, nous comprenons, en regardant ce film, qu’il est possible de vivre en volant. Ce film, en nous serrant le coeur, nous donne des ailes. Nous avons des ailes, grâce aux poètes, aux musiciens et à de magnifiques enfants qui, à chaque instant, nous en donnent.